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Trump, tarifs et transformation: Gare au faux sentiment de sécurité

Trump, tarifs et transformation: Gare au faux sentiment de sécurité
Jérôme Lussier
Vice-président, Affaires publiques et durabilité
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February 24, 2025

Entre le moment où vous lirez ce texte et le moment où il a été publié, il est possible que la situation ait complètement changé. Ainsi vont les choses sous le président Trump, qui utilise régulièrement la menace, le bluff et l’imprévisibilité comme armes politiques et économiques. 

On l’a vu au début de février avec les tarifs de 25% visant le Canada et le Mexique: annoncés en grande pompe, confirmés comme inévitables, puis suspendus pour 30 jours avant de réapparaître sous forme de tarifs mondiaux visant l’acier et l’aluminium, dont on ignore la durée et les conditions, voire s’ils s'additionnent aux autres tarifs évoqués. 

En parallèle de ces gestes (et sans même parler des velléités d’annexion du Canada comme 51e état) le président américain a aussi mentionné d’autres enjeux qui pourraient constituer des menaces sérieuses pour les économies canadienne et québécoise : contestation de la gestion de l’offre dans le secteur agricole, hausse marquée des dépenses militaires, libéralisation du secteur bancaire canadien, prix des médicaments, accès aux ressources naturelles, rapatriement du secteur automobile aux États-Unis, etc. Si une ou plusieurs de ces menaces se matérialisent, les impacts pourraient être majeurs pour notre économie et nos finances publiques.

La théorie du bluff

Face à toutes ces déclarations et rebondissements, certains appellent au calme. Ils rappellent les multiples fois où Donald Trump a reculé et changé d’idée par le passé, et ils exhortent leurs concitoyens à ne pas exagérer le sérieux de ses tactiques à l’emporte-pièce. Selon ces observateurs – de moins en moins nombreux, il faut le dire – les bienfaits du libre-échange et les dangers d’une guerre tarifaire (en particulier les risques d’inflation et de dégringolade boursière aux États-Unis) refroidiront assurément les élans protectionnistes du président Trump. Il n’y aurait donc pas lieu de s’inquiéter outre mesure, ni de procéder à des ajustements significatifs en réponse à des menaces qui disparaîtront plus tôt que tard. 

Il est effectivement bien possible qu’après quelques semaines de turbulence, les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis reviennent à la normale des dernières décennies, moyennant la promesse d’une renégociation de l’ACÉUM au cours des prochaines années. Ce serait sans doute le meilleur résultat possible.

Le danger de la fausse sécurité

Pour les entreprises canadiennes et québécoises, toutefois, la stratégie de l’attente et du statu quo paraît malavisée. Si l’inconstance et l’improvisation de Donald Trump permettent d’espérer un dénouement heureux, les fréquentes volte-face du président américain peuvent aussi induire un sentiment de fausse sécurité. Nos clients ne sont pas en mode panique, mais plusieurs nous ont partagé leurs inquiétudes : reports de contrats ou d’achats aux États-Unis, confusion quant aux réponses de nos gouvernements, perspective à plus long terme. Tout le monde souhaite que la crise se résorbe sans heurts. Mais il est possible que ce ne soit pas le cas. Et il importe de se préparer en conséquence, notamment en se posant des questions essentielles :  

  • Comment l’évolution des politiques américaines peut-elle menacer votre modèle d’affaires ?  
  • Comment communiquer avec vos parties prenantes dans les circonstances ?  
  • Comment s’assurer que les décideurs publics tiennent compte des enjeux de votre industrie dans leurs éventuels plans de sauvetage ou de relance ?

Deux éléments en particulier – le premier économique, l’autre politique – suggèrent qu’il faut prendre au sérieux les menaces tarifaires des États-Unis. 

Des impacts disproportionnés pour le Canada

D’abord la réalité économique. L’économie américaine est 13 fois plus importante que l’économie canadienne, et beaucoup plus diversifiée. Les exportations canadiennes aux États-Unis représentent près de 20% de notre PIB, alors que les exportations américaines au Canada représentent moins de 2% du PIB américain. Même si le Québec et le Canada répliquent à Trump de manière à infliger un tort économique égal à nos voisins – œil pour œil, dent pour dent, tarif pour tarif – l’impact sur l’économie américaine sera infime. Certaines industries et certaines entreprises seront plus touchées que d’autres mais, dans l’ensemble, les effets pourraient être négligeables – surtout que le gouvernement américain déploiera certainement des mesures de soutien économique aux secteurs affectés par les contre-tarifs canadiens. 

Mais les États-Unis ne dépendent-ils pas des hydrocarbures et de l’électricité du Canada? Il est vrai que les Américains consomment beaucoup d’énergie en provenance du Canada et qu’une interruption soudaine des pipelines et des lignes de transmission entraînerait des conséquences significatives sur plusieurs régions et industries des États-Unis. Mais les Américains ne sont pas fondamentalement dépendants du Canada pour autant. En réalité, depuis quelques années, les États-Unis sont une superpuissance énergétique, tant pour la production et l’exportation d’hydrocarbures que dans le développement de sources renouvelables. S’ils le veulent et qu’ils sont prêts à faire les ajustements et investissements requis, les Américains ont la capacité d’être largement autosuffisants sur le plan énergétique. C’est donc dire qu’à moyen et long terme, même les leviers énergétiques du Québec et du Canada ne feront pas le poids face à des États-Unis déterminés à gagner une guerre d’usure économique. 

Cela ne signifie pas que le Québec et le Canada ne devraient pas répliquer avec force aux tarifs américains en utilisant tous les outils à leur disposition. Mais il importe d’être lucide quant au contexte et au rapport de force.

Un soutien politique aux États-Unis

Par ailleurs, tout indique que les menaces tarifaires reposent aussi sur des bases politiques appréciables. 

Sous Donald Trump, le parti Républicain s’est en effet transformé en défenseur décomplexé du nationalisme économique, critique de la mondialisation et du libre-échange. Pour des raisons stratégiques et économiques, l’administration Trump est déterminée à rendre les États-Unis plus indépendants et à rapatrier les chaînes de production au pays, même si les prix augmentent pour les consommateurs américains. 

Ces orientations trouvent des appuis dans les milieux syndicaux américains. Plusieurs stratèges et élus républicains soutiennent également ces positions en invoquant les ravages de la désindustrialisation sur le tissu social de certaines régions du pays. Il y a quelques années, le sénateur Marco Rubio (aujourd’hui secrétaire d’État) affirmait que « la recherche du profit va trop loin quand les entreprises désertent les travailleurs et les communautés qui les ont d’abord rendues profitables simplement pour fabriquer des produits moins chers dans d’autres pays.s » 

Ces remarques suggèrent qu’une partie de la base Républicaine ne priorise plus nécessairement le libre marché, l’efficacité économique et les bas prix au-delà de toutes autres considérations sociales ou politiques. Ironiquement, l’ex Premier ministre du Canada Stephen Harper tenait cette semaine des propos analogues en affirmant qu’il serait prêt à endurer  « n’importe quel degré de dommages économiques » pour défendre l’indépendance du Canada.

Finalement, une étude de 2024 a démontré que le président Trump n’avait pas souffert politiquement des guerres tarifaires menées lors de son premier mandat. Même si ces tarifs n’ont pas eu l’impact voulu et qu’ils ont causé du tort économique à certaines régions du pays, les appuis politiques à Trump ont augmenté quand même. Si l’histoire se répète, il ne faut donc pas s’attendre à une révolte des électeurs américains contre les politiques protectionnistes de leur président. 

Que faire?

Face à cette menace, il n’existe pas de solution unique qui convienne à toutes les industries et toutes les entreprises. L’incertitude qui plane ne fait qu’ajouter à la complexité du défi. Une chose semble toutefois évidente : l’immobilisme n’est pas une option.

C’est d’ailleurs le message que répète François Legault depuis quelques semaines. Le Premier ministre annonce des années de transformations profondes pour l’économie québécoise. Il est impératif que les entreprises québécoises et canadiennes prennent la mesure du changement et adaptent rapidement leurs opérations en conséquence.

Certains gestes sont du ressort exclusif des organisations : repositionnement, exploration de nouveaux marchés, communications stratégiques. Sachant toutefois que l’économie québécoise s’est construite sur une forte collaboration entre le secteur public et le secteur privé, il est probable que cette relation sera plus essentielle que jamais. Dans bien des cas, les entreprises devront aussi intégrer une composante de relation gouvernementale à leur réflexion stratégique, pour s’assurer que leur industrie, leur modèle d’affaires et leurs enjeux spécifiques soient compris et considérés par les gouvernements, alors même que ces derniers cherchent à redéployer notre économie à toute vitesse. Pour une rare fois, l’agilité des entreprises pourrait dépendre en partie de leur capacité à coordonner leurs actions avec les pouvoirs publics.

Que ce soit pour mener des réflexions stratégiques à l’interne, communiquer avec vos parties prenantes, repositionner et accroitre la visibilité de votre entreprise, ou encore vous conseiller dans vos relations gouvernementales, nos experts peuvent aider votre organisation à naviguer dans ce climat complexe.  

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